Comptant parmi les stars de Hollywood les plus estimées et les plus aimées, Redford a remporté les plus prestigieuses récompenses pour ses performances d’acteur, réalisateur et producteur. Son festival du film de Sundance a transformé le monde du cinéma ; ses films ont modelé toute une génération. On le connaît comme le Sundance Kid, ou Jay Gatsby, mais cette biographie nous révèle l’homme complexe et surprenant sous la façade hollywoodienne.
S’appuyant sur les journaux et la correspondance de Redford, ainsi que sur des centaines d’heures d’interviews, Michael Feeney Callan met en lumière la star de légende et nous fait découvrir sa famille éclatée et sa jeunesse agitée, ses débuts difficiles dans la comédie, la mort de son fils, son engagement politique, ses amours et ses amitiés. Un portrait honnête et surprenant d’un homme dont les rôles emblématiques (Butch Cassidy et le Kid, Les Hommes du président) et le génie de la mise en scène (Des gens comme les autres, Quiz Show) ont à la fois défini et occulté l’une des stars les plus renommées de notre époque.
ROBERT REDFORD
Michael FEENEY CALLAN
Quand Redford arriva en France en 1956, la guerre froide faisait rage en Europe. Un peu plus tôt cette année-là, les émeutes polonaises contre l’occupation soviétique avaient fait la Une des journaux américains. En novembre, la Hongrie débuterait sa rébellion de cinq jours. Redford arriva dans l’intervalle entre les deux évé- nements. « J’étais ouvert à l’idée de conversion politique, explique-t-il. J’avais pleinement béné cié de l’éducation américaine : conservatisme, torpeur sociale et incompré- hension totale des autres cultures. La France, pour moi, c’était Hemingway et Gertrude Stein. Naturellement, dans certains milieux, il y avait davantage de perspec- tives, mais la compréhension populaire était quasi nulle. Je suis arrivé en Europe dans l’ignorance, mais avec un carnet de notes métaphorique, et littéral, à la main. » Charlie avait accepté à contrecœur d’envoyer 100 dollars par mois. «Bob dépensait son argent du mois en une semaine, raconte Brendlinger, et ensuite, il vivait sur le mien. Je crois bien qu’il était quasiment endetté dès le moment où on est arrivé. » Ils n’avaient rien réservé pour se loger à Paris, et comme c’était le Salon de l’automobile, il n’y avait pas de chambre disponible. À la dernière minute, un employé d’American Expess trouva une vieille dame qui louait des chambres sur la Rive droite. Une facture d’une semaine consuma un mois de budget. « On avait fait un très mauvais départ », se souvient Brendlinger.
Redford, cependant, ne se laissa pas décourager. C’était le monde dont il rêvait : subversif, agité, extrême. Il se mit à traîner dans le quartier de l’université pour essayer de rencontrer des Françaises. Ce qui ne fut pas tâche facile. «Elles n’aimaient tout simplement pas les Américains, dit-il, et souffrant d’un manque d’éducation, il m’était
dif cile de déterminer dans quelle mesure leur impoli- tesse était dirigée contre moi personnellement. » Redford s’inscrivit à un cours intensif d’histoire de France, qui lui permit de s’informer sur de Gaulle, la guerre d’Indochine, le con it qui se disputait en Algérie. «Ma découverte de la France pré-gaulliste, dit Redford, a marqué pour moi le début d’une conscience politique cohérente parce que j’ai dû m’appliquer à comprendre pourquoi il était si dif cile pour nous de nous y intégrer. Cela a aussi eu le mérite de m’inciter à revoir mon jugement sur l’Amérique. Je me suis mis à lire Walter Lippmann et Art Buchwald pour prendre davantage de recul sur la question. Et j’ai compris pour la première fois le rôle colossal que l’Amérique jouait partout dans le monde. À cause de l’in ation française incontrôlée et de la force du dollar, les Américains étaient comme des conquérants en visite. Et c’était ainsi dans de nombreuses régions du monde. On avait de l’in uence : via l’argent, la puissance militaire, le cinéma. On avait des moyens extraordinaires d’in uencer les autres cultures au xxe siècle. »
Les cours aux beaux-arts ne commençant pas avant octobre, Redford et Brendlinger décidèrent de quitter Paris. Suivant le conseil d’un Allemand rencontré dans un club de jazz, ils mirent le cap sur Majorque. À Can Pastilla, au sud de Palma, pour 40 dollars, ils louèrent une villa mauresque appartenant à l’Église catholique1. Ils avaient vu sur la mer et étaient entourés de murs blancs drapés de bougainvilliers. Mais Redford nit par se lasser de ce merveilleux isolement. «Il passait toutes ces journées assis dans ces bistrots à ciel ouvert à dessiner les clients, se souvient Brendlinger. Et il ne choisissait que les visages tristes. Son travail, très émouvant et évocateur, m’a permis de découvrir une facette de sa personnalité que je ne connaissais pas. Ce n’était pas l’excentrique de la CU. C’était un gamin perturbé. » Brendlinger, qui avait perdu son père quand il était très jeune, se demandait si Redford n’avait pas du mal à accepter la mort de sa mère. «J’avais le sentiment qu’elle était le cœur de son estime de lui. Mais je crois que ça allait au-delà de ça. Il éprouvait un besoin créatif impérieux de s’évader, et ce besoin avait été réprimé. J’ai ni par comprendre que l’Europe était pour lui une question de vie ou de mort, secrètement. » «On parlait souvent du destin qu’on suivrait après nos études, du monde des affaires qui nous tuerait tous les deux. Bob parlait de son amour de l’art et se demandait où l’art et le cinéma trouvaient leur point d’intersec- tion. L’industrie du cinéma, nous semblait-il, offrait de nombreux avantages : voyages, longues périodes de repos entre deux jobs, etc. Bob était un gamin assez vaniteux, mais son ego n’était pas démesuré, il ne s’imaginait pas acteur. Je lui disais : “Pourquoi pas la comédie ?” Mais il ne pensait qu’à l’art. Je lui disais : “Quand tout ça sera ni, on pourra retourner à LA et se faire une super vie en rusant pour nous faire une place dans l’industrie du cinéma”. Cette idée avait l’air de l’amuser. » Mais la seule chose qui intéressait Redford, à l’en croire, était d’intégrer les beaux-arts.
Au mois d’octobre, les deux amis retournèrent à Paris où ils prirent une chambre à 1,50 dollar la nuit à l’hôtel Notre-Dame, quai Saint-Michel2. Redford commença alors les cours aux beaux-arts. Mais l’école, depuis peu, avait fait passer l’architecture au premier plan, devant la peinture et la sculpture. Les deux premières années étaient centrées sur le classicisme et la Renaissance. Redford fut déçu : « C’était l’école où Delacroix, Ingres, Renoir, Degas et Monet avaient été formés. C’était censé être l’école par excellence où l’expérimentation était valorisée. Mais l’ambiance que j’ai découverte était très académique et très sérieuse. C’était tout ce qui me rendait mal à l’aise. Je passais mes journées assis dans une cour à apprendre les théories mathématiques d’Alberti ou les principes de la perspective aérienne et du clair-obscur.» Au bout de quatre semaines, il demanda à être transféré à la moderniste Académie Charpentier, qui venait d’être accréditée. Là, l’absence de formalité l’inspira. « J’ai en n pu oublier les études académiques pour expérimenter. C’était la première fois de ma vie que je pouvais travailler dans une liberté naturelle, essayer des choses et échouer ou réussir, et me constituer un portfolio. J’ai changé totalement. Quand j’étais arrivé à Paris, je portais une chemise col bateau et un béret que j’avais volés dans un magasin de Beverly Hills. Je voulais faire Gene Kelly à Paris. Mais quand je me suis retrouvé dans le petit atelier du troisième étage de l’académie, cette fausseté a disparu. Je peignais avec de la peinture à l’huile, tous les jours. J’aimais particulièrement peindre les femmes enceintes, pour la plénitude qu’il y avait dans leur pose. Jusqu’alors, mes ambitions artistiques étaient sombres, comme celles de Franz Klein. À présent, elles étaient pleines de couleurs éclatantes.» Modigliani devint son nouveau modèle, il l’admirait aussi bien pour sa vie débridée que pour son art : le peintre était un alcoolique notoire désinhibé, qui avait trempé dans de sales affaires3, avait volé des pierres sur le site de bâtiments municipaux et dé ait tout le monde, une personnalité dans laquelle il trouvait un confort familier.
Vibrant d’une énergie nouvelle, il se joignit à des étu- diants radicaux pour organiser des manifestations contre la répression soviétique en Hongrie. Ce fut la curiosité qui le plaça au cœur de l’action, alors que son éducation politique était encore en développement. Confronté à la police dans le quartier de l’université, il reçut des coups de matraque et fut blessé. «Ce n’est pas ça qui m’a fait quitter Paris, dit Redford, mais ça y a contribué. À cette manifestation, la répression n’était pas seulement anti-étudiante, elle était aussi anti-américaine. Je com- mençais à comprendre que j’avais encore beaucoup à apprendre. »
1 - Journal, Documents Robert Redford, Mugar Memorial Library, universi- té de Boston.
2 - Interview de Jack Brendlinger, 28 mai 1997.
3 - En français dans le texte (N.d.T.).
979-10-97515-49-2
Livre broché - 765 pages
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