Une belle histoire que celle de ce ramasseur d'étoiles, ou plutôt de fragments d'étoiles, qui tombent sur Terre sous l’aspect de simples pierres, alors qu’en réalité il s’avère que celles-ci sont en or pur. Zénon, l'heureux ramasseur de ces débris célestes, est le seul à pouvoir les relancer vers le ciel et œuvrer ainsi à la reconstruction des astres en perdition. Mais celui-ci est kidnappé par des malfrats attirés par son or, avec comme conséquence que les constellations disparaissent du ciel les unes après les autres ! Ce dérèglement provoque de grosses inquiétudes sur Terre et on mesure ainsi que l’accaparement des richesses par quelques-uns finit par provoquer des catastrophes en chaîne...
LE RAMASSEUR D'ÉTOILES
Martin RYELANDT
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Nicodème poussa sur la manette du dérailleur et fit passer la chaîne du vélo sur le plus petit plateau. Presque dans le même mouvement, il réajusta les lanières de son sac de livraison, reprit son souffle, baissa la tête et s’engagea sur la côte abrupte qui s’amorçait devant lui. Depuis qu’il travaillait comme livreur de pizza pour OBAR, grâce à l’application de son smartphone, il avait appris à connaître la configuration des rues de son secteur de livraison, mais aussi leurs noms, le caractère des maisons et jusqu’aux habitudes de ses clients. On lui demandait de livrer un maximum de pizzas en un minimum de temps et, pour cela, il se défendait bien. Il avait tout de suite compris que son employeur ne se soucierait pas de lui, tout en laissant croire le contraire. « Tu es jeune, en bonne santé et tu as de l’ambition, ce job est pour toi. Mais attention, si tu te fais ramasser par une voiture ou quoi que ce soit d’autre, c’est pour ta pomme ; n’oublie pas, un vrai indépendant ça assume… » Cause toujours !
En gravissant la rue, il ne pensait pas à ça, mais au désagrément de devoir pédaler dans la choucroute en utilisant la plus petite vitesse. Ça fait con, se dit-il, c’est comme faire du vélo dans une salle de fitness ou pire encore, escalader un tas de sable en sentant que tout se dérobe sous tes pieds ! Des deux images, il préféra la seconde et il essaya de se représenter une dune de sable au bord de la mer. L’image finit par s’inscrire dans son cerveau au point que le mouvement induit au vélo devint subitement plus chaloupé et il ne s’aperçut pas qu’il roulait à présent en plein au milieu de la rue. Des coups de klaxon rageurs le firent sursauter. Il résista à l’envie d’égrener quelques doigts d’honneur dans son sillage, regagna le couloir réservé aux vélos et continua à pédaler en enclenchant à nouveau le dérailleur pour remettre la chaîne sur le deuxième plateau. Immédiatement, il sentit une résistance familière dans ses mollets et ses genoux. Vive la consistance et basta la dune au bord de la mer !
Nicodème était blond comme il n’est pas permis dans une époque de brassage intercontinental. Même pas châtain, cendré ou vénitien, non, blond. Tellement blond qu’il laissait bouche bée. Il avait dû voir le jour sur un iceberg à la dérive ou quelque continent boréal oublié des hommes. Pour en rajouter une couche, la nature l’avait doté d’yeux bleus qui semblaient plutôt l’apparenter à une race de félin inconnue ou en voie d’extinction, comme le léopard des neiges. Il eût été difficile de faire la part du glacé ou du brûlant dans son regard. Son attention s’arrêtait sur le monde avec une sorte de morgue mâtinée de gourmandise, qui eût laissé craindre le pire si elle n’avait été tempérée par une nervosité interne, presque à fleur de peau, qui annulait l’impression première : il y avait du doute chez ce Viking. Le reste était à l’avenant, grand et costaud. Quoi qu’il en soit, son allure involontaire de jeune brute, comme encombrée par elle-même et le monde extérieur, plaisait à sa clientèle bobo en mal de sensations. On en redemandait, et lui, toujours à se questionner, s’interrogeait sur la raison, car même s’il n’avait pas que de la morgue à offrir, celle-ci n’était pas feinte.À mi-hauteur de la rue, son attention fut attirée par un vieil homme assis sur un lit installé à même le trottoir. Ses cheveux et sa barbe étaient longs et échevelés, son accoutrement évoquait un patchwork fait de nippes ramassées au petit bonheur la chance. Il avait les bras dressés très haut au-dessus de la tête en une sorte de supplication ou d’incantation et semblait fixer quelque chose dans le ciel. Autour de lui, il y avait aussi une table de nuit, une garde-robe ainsi qu’un assortiment complet de meubles de cuisine : table, vaisselier, frigo, etc. À croire que la disposition interne de l’ameublement avait été reconstituée en une copie conforme à l’extérieur. Sans l’attitude étrange du bonhomme, on aurait pu y voir un simple déménagement, comme il y en avait beaucoup dans ce quartier proche de l’université début septembre. Mais Nicodème, sans qu’il puisse dire pourquoi, sentit que la situation était tout autre et sans aucun doute très grave. Il se saisit et faillit perdre l’équilibre. Le vieil homme s’était relevé et ébauchait un semblant de hurlement tout en continuant à fixer le ciel et en gardant ses bras bien dressés au-dessus de sa tête. Nicodème pensa à un cri de bête. La clameur lui évoquait une prière ou un sanglot. Il n’alla pas plus loin et rangea son vélo contre le mur de la maison voisine.
Il s’approcha du vieil homme...979-10-97515-56-0
Livre broché - 185 pages
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