— Que désirer de plus qu’une bonne miche de pain sortant du four par une belle journée de soleil ? murmura le jeune homme blond à queue-de-cheval. Tous les matins devraient commencer de la sorte, pain chaud et belle ensoleillée. Avec, de surcroît, un lézard se chauffant sur le mur.
— Le vin a dû te monter à la tête, mon pauvre Nuccio. Un de ces quatre, tu finiras par me dire que la vie est belle avec les curés. C’est quoi ce lézard ? Le boiteux à la moustache touffue comme un moineau quitta la table éclairée de biais par le soleil matinal, s’essuya les mains à son tablier crasseux d’un geste puisé dans l’habitude plus que dans la nécessité, alla sur le seuil de la porte et jeta un regard dehors. Personne. Pas un chat. Pas vraiment une aubaine de tenir une auberge par ces temps-là. De gros soucis pour point de profit. Autrefois, l’endroit ne désemplissait pas et ça sentait l’opulence, les plateaux chargés de mets se vidaient à vue d’œil, les murs tremblaient sous les chants des clients, les lits grinçaient et personne ne fermait l’œil jusqu’au petit matin. À la cuisine, on faisait rôtir cochons de lait, canards, lièvres, cailles et faisans. L’oignon haché mêlait les larmes à la sueur des cuisinières qui trimaient jusqu’au milieu de la nuit. Les festins se prolongeaient jusqu’à vider les celliers et les servantes devaient inviter les ripailleurs à venir constater de leurs propres yeux qu’il ne restait plus rien à se mettre sous la dent, pas la moindre patate, par la moindre feuille de salade, de graton, de fruit entier ou tranché, pas un seul rayon de miel avec deux abeilles prises dans l’ambre épais. Dans la cave, les tonneaux étaient remplis de vins apportés des collines toscanes, bercés au rythme des charrettes pendant des journées entières de voyage. Là-bas, dans les villes ocre de la république florentine, à Monteforalle et Panzano, à Castellina et san Miniato, à Radicondoli et Montalcino, les automnes étaient rythmés par les danses sauvages des femmes en sueur qui foulaient le raisin aux pieds et qu’il fallait relayer toutes les trois heures moins à cause de la fatigue ou de la chaleur torride que des exhalaisons leur troublant l’esprit et leur donnant le tournis.